Les Black Muslims


On les reconnaît facilement à la sortie de certains métros de Montréal: ils sont discrets, droits comme un I, portent un strict costume trois-pièces, avec cravate, ou fréquemment avec un nœud papillon. Sous leurs bras, des exemplaires de leur journal, « Muhammad Speaks ». Ils les offrent, aux Noirs seulement.

On en sait beaucoup sur ceux qui ont fondé des grandes religions il y a quinze ou vingt siècles. On sait à peu près tout sur les fondateurs des religions plus récentes, les Mormons, les Rastafarians ou les Bahaï. Et sur le fondateur des Black Muslims? Pratiquement rien. On n’est pas certain de son nom, Wallace Dodd (Ford Wallace Dodd) encore moins ses origines. Il apparaît à Détroit à la fin des années vingt et annonce aux Noirs, 100% chrétiens, qu’il est l’envoyé d’un dieu noir et que les Blancs représentent le mal sur Terre. En 1930, il prend le nom de William F. Muhammad et fonde La Nation of Islam. Il a attiré un tout petit groupe d’adhérents convaincus et militants autour de lui lorsque, en 1934, il disparaît mystérieusement.

Elijah Muhammad, le nouveau dirigeant du petit groupe prend le titre de « messager de Dieu » propage le message dans les ghettos de Détroit, de Chicago et des grandes villes de l’Est. Et quel message!

Les Blancs sont une race inférieure, créée par un scientifique noir, du nom de Yacub, il y a 6 000 ans. Leur religion, le christianisme, est la religion des Blancs, de l’esclavage et du mal.

L’islam est la véritable religion de l’homme noir, et est réservée aux Noirs. (Ce qui est contre les principes de Mahomet)

Elijah Muhammad veut l’indépendance totale des Noirs par rapport aux Blancs, y compris leur propre État indépendant noir, par exemple dans le sud des États-Unis.

Le nombre de temples et d’adhérents augmente lentement. Il compte quelque 500 membres lorsque le jeune Malcolm Little qui s’est converti à l’Islam en prison joint le mouvement en 1952. Assez rapidement, il change son nom de famille pour « X »; Malcolm explique que ce nom représente le rejet de son « nom d’esclave » en l’absence de son véritable nom d’origine africaine.

Les discours virulents de Malcolm X l’opposent au pacifisme non-violent de Martin Luther King.

Orateur exceptionnel, bon organisateur, il attire l’attention de tous les médias. Au début des années 60, la Nation of Islam, (les Black Muslims) compte 30 000 membres dont le célèbre boxeur Cassius Clay (Muhammad Ali) , qui rejoint officiellement Nation of Islam en 1964.

Puis, le courant ne passe plus entre Malcom X et Elijah Muhammad.

Il n’accepte pas les nombreuses aventures amoureuses du “Messager” et se rapproche de l’islam orthodoxe.

Alors qu’ Elijah prône toujours la ségrégation raciale et refuse de collaborer avec avec les autres organisations noires, Malcom X croit de plus en plus que la solution du problème racial passera par la réconciliation plutôt que la confrontation.

Le 8 mars 1964, Malcolm X quitte la Nation of Islam et fonde son propre mouvement. Peu de temps après, il se convertit à l’islam sunnite orthodoxe et fait le pèlerinage à La Mecque (le hajj). Quelques mois plus tard, le 21 février 1965, il est abattu par trois membres de Nation of Islam qui seront reconnus coupables en 1966. L’organisation elle-même niera toute participation à l’assassinat.

À la mort d’Elijah Muhammad en 1975, les Black Muslims se déchirent. Le fils d’Elijah rompt avec le racisme antiblanc de son père comme l’exige l’Islam. Mais un groupe de la Nation of Islam dirigé par Louis Farrakhan reste fidèle au Messager.

Durant ses nombreux voyages, Louis Farrakhan réaffirme les liens entre l’Afrique et « les fils et les filles de l’Afrique aux États-Unis d’Amérique, dans les Caraïbes, en Amérique Centrale et du Sud, ainsi qu’au Canada».

Aujourd’hui, avec un discours jugé rasciste et antisémite, Les Black Muslims de Louis Farrakhan ont quelques dizaines de milliers de membres et peinent à recruter. Au Canada, ils ont des temples ou des groupes d’étude à Ottawa, Toronto et Montréal.

Documentaires: 

Les Black Muslims (09min19s)

Les Derniers Jours d’une Icône – Malcom X 1/3 (Les deux autres parties à droite de l’écran)

Louis Farrakhan: émission 60 minutes

Malcolm X: His Life and Legacy (Documentaire, 60 minutes)

Malcolm X on PBS ‘Open Mind’ show: Race Relations In Crisis (June 12, 1963) (1.58.50)
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Ma visite au temple de Muhammad

Par Olivier Dubois

Le temple n°4 de la Nation of Islam, se trouve sur la rue des Seigneurs au 741. J’y arrive pour 14h30. A l’extérieur, aucune colonne ou icône sacrée. Juste une double porte vitrée masquée de rideaux blancs, au-dessus de laquelle je lis : « Coalition de la Petite Bourgogne ».

J’y pénètre. C’est en fait une salle de réunion communautaire, vide, à l’exception des chaises sagement alignées, d’un bureau, de « Frère Shabazz » le ministre des lieux et de moi-même. Mais où sont donc passés les autres ? Il est vêtu d’un élégant costume de ville et semble surpris de me voir, peut-être est-ce dû à ma tenue estivale. Il se lève, vient à ma rencontre, m’adresse un « As-salaam Alaikum mon frère » et me soumet à un rituel d’entrée des plus surprenant : une fouille au corps, bras en croix, puis c’est au tour de mon sac. Je dois mettre mon téléphone portable sur « mute ». Ce préambule policier achevé, il m’invite à m’asseoir, passe derrière son bureau, me demande de me relever pour la prière, en anglais, qui précède chaque début et fin de réunion. Je m’exécute avec lui, paumes levées vers le ciel comme les musulmans. Balbutiant une prière à la gloire de « l’Honorable Elijah Muhammad » que je ne comprends pas bien. Il me fait signe de me rasseoir sur une des chaises face à son bureau, sur lequel se trouve: un ordinateur portable, « A Message for Blackman in America » le livre d’Elijah Muhammad et la sainte Bible. Il revient sur la fouille préliminaire et m’assure qu’elle est indispensable afin de garantir un climat de paix durant la réunion ou plutôt la discussion qui va suivre.

Je suis questionné sur mes origines, il veut savoir comment j’ai connu la Nation of Islam. Lui est d’origine nigérienne et se prénomme Karriem. Shabazz est le nom qu’on lui a donné à son entrée dans la Nation of Islam. C’est un ancien chrétien. Comme moi, il a vu le film « Malcolm X » en 1992 mais, contrairement à moi, il a rejoint l’organisation à cette période. Il est le représentant de l’organisation pour la « Petite Bourgogne ». Un autre représentant siège au Temple N° 2 sur Bélair, quartier St Michel à Montréal. J’apprends qu’on trouve d’autres temples un peu partout au Canada, il ne cite néanmoins qu’Ottawa avant de revenir à New York, Boston et Chicago. Ce temple est ouvert principalement aux Noirs me dit-il. Arabes, Pakistanais,Chinois et autres races de couleurs peuvent y venir, s’ils le souhaitent, mais l’homme blanc n’y est pas admis.

Nous commençons. Je suis prié d’ouvrir le journal de l’organisation, »Muhammad Speaks », à la page 12. Le sujet de l’article est la « Corruption universelle ». Sujet d’importance, j’imagine, car il apparaît en grosses lettres rouges sur la couverture du journal. C’est selon lui une bonne entrée en matière à notre échange. Il m’invite à le lire, ce que je fais. Puis vient la séance des questions. L’article faisant la part belle aux citations du livre de Muhammad, « A Message for Blackman in America », je lui demande si son message est aussi destiné à des Antillais comme moi et de surcroît Français. Il répond que Muhammad finit le titre de son livre par « In America » et non « Of America ». Les Noirs Américains sont des esclaves venus d’Afrique de même que ceux d’Europe, donc le message de Muhammad s’adresse à tous les Noirs. Pour preuve, il exhibe le logo, en première page du journal, représentant deux Noirs se serrant les mains au-dessus de la planète terre . On y aperçoit le continent asiatique, les Amériques et l’Afrique. Quid de l’Europe ? À propos de cette dernière, sur la corruption, Muhammad écrit : « la corruption a commencé en Europe, et elle s’est étendue maintenant sur neuf dixièmes de la population de la planète Terre. Elle a causé l’insatisfaction de près de cent pour cent des nations civilisées. »

Cette dicussion nous amène sur des thèmes périphériques qui m’apprennent que: la  Nation of Islam est hostile à L’Europe, à Sarkozy et à ce que l’OTAN et lui font à la Libye de Muammar Kaddafi. Que les Noirs sont toujours esclaves dans leurs têtes car les Blancs  ont su semer les graines de la discorde parmi ce peuple. Qu’on trouve à Montréal, une « Little Italy », une Little China » et différentes communautés soudées mais pas de « Little Africa » et que les Noirs, à cause des Blancs, sont divisés. Je l’interroge sur le nombre d’adhérents de la Nation of Islam à Montréal. Il devient sombre et répond que la communauté noire représente, ici, environ 200 000 personnes avec une majorité de Haïtiens. Que sur ces 200 000 personnes 85 à 90% sont d’obédience chrétienne, catholique ou protestante. Il y a aussi un certain nombre d’Africains musulmans mais orthodoxes.

Nous revenons sur l’Afrique. Selon lui, le nom « Afrique » viendrait d’un Européen, un Romain de l’Antiquité: Alfredo Canus ou Léo Africanus, qui l’aurait découvert et lui aurait donné son nom. A ma question « Que peut faire la Nation of Islam face à la division du peuple noir » ? Il préconise un éveil des consciences et un retour aux racines. Il utilise des passages de la Bible pour appuyer ses arguments. Il la consulte souvent. De nombreux passages sont d’ailleurs stabilotés. « C’est un bon livre » dit-il mais qui a été détourné, depuis 400 ans, par les Blancs (Adam et Ève seraient des noirs et le serpent qui vient leur parler l’homme blanc… L’homme noir n’est pas, comme cela lui a été répété,  le descendant de Cham, fils de Noé, condamné avec les siens à être l’esclave des Blancs…). Son second livre de référence est celui d’Elijah Muhammad. Ce tandem « biblique » semble un distributeur de réponses efficaces à toutes les questions. Je m’étonne, qu’en tant que musulman, il n’utilise pas le Coran pour ses démonstrations, il élude en me répondant qu’il ne l’a pas pris aujourd’hui avec lui.

Toujours sur la religion, il affirme que : « les Blancs nous ont fait oublier nos dieux au profit des leurs et que les Arabes se sont accaparés Allah ». Il ne comprend pas pourquoi le Jésus « blanc » de Jérusalem a son « siège social » à Rome. S’ensuit une autre tirade sur l’Europe.

Il termine sur une anecdote familiale : lorsqu’elle était jeune en Afrique, sa mère chrétienne ne comprenait pas pourquoi les Blancs priaient dans une église tandis que les Noirs priaient dans une chapelle de moindre importance. Comment dieu, qui est amour, pouvait-il permettre cette distinction entre ses enfants ?

Cette fois son anecdote est suffisamment parlante pour ne pas déranger ni la Bible ni le livre de Muhammad.

Notre échange a duré 45 minutes, montre en main. Il en sort satisfait, par sa prestation et mon intérêt. « 400 ans d’esclavage ne peuvent pas être expliqués en 45 minutes », il m’invite donc à revenir dimanche prochain. Nous finissons, mains levées, pour une dernière prière à Elijah Muhammad. Il note mon numéro de téléphone et me confie sa carte avec son numéro personnel que je peux utiliser à loisir si j’ai besoin de réponses à mes questions. Il me serre la main avec chaleur et me donne rendez-vous la semaine prochaine. je peux amener des amis noirs, ajoute-t-il.

En sortant, je me demande s’il me fouillera aussi à la prochaine séance…